12. Holdings agricoles et cotisations sociales

Un certain nombre de chefs d’entreprises agricoles organisées sous la forme de sociétés procède à la mise en place de sociétés holdings qui deviennent associées de la société d’exploitation afin d’optimiser les prélèvements fiscaux et sociaux appliqués sur une partie des bénéfices de la société opérationnelle. Les organismes sociaux tentent de remettre en cause ce montage en considérant que les bénéfices attribués aux sociétés holdings doivent être soumis au paiement de cotisations sociales.

L’examen de la dernière jurisprudence révèle les démarches des organismes sociaux face à ce type d’organisations. A ce titre, il importe d’examiner les décisions concernant successivement le secteur agricole et le secteur non agricole.

S’agissant du secteur agricole, il convient de mentionner notamment les arrêts de la Cour d’appel de Rennes en date du 6 juin 2023.

Selon le premier de ces arrêts, le régime social exigeait la réintégration dans l’assiette de cotisations du chef d’exploitation agricole des produits financiers d’une SCEA perçus par la société civile holding associée de la SCEA (CA Rennes, 6/06/2023, N° RG 20/05591).

La demande était la même s’agissant du deuxième arrêt concernant une société holding associée d’une SARL exerçant une activité de travaux d’entreprise agricoles relevant du champ de compétence du régime social agricole (CA Rennes, 6/06/2023, N° RG 20/05594).

Pour fonder sa décision de contrôle dans ces deux affaires, l’organisme social considérait que la création d’une société holding avait pour but d’éluder le paiement des cotisations sociales dues en qualité de non salarié agricole, montage pouvant constituer un abus de droit social selon l’organisme de contrôle.

Sur le fond, ces affaires ne sont pas sans rappeler la jurisprudence antérieurement rendue dans ce domaine avec, d’une part, l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse en date du 22 avril 2009 (CA Toulouse, 22/04/2009, arrêt n° 09/250) et, d’autre part, l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2013 (Cass, 10/10/2023, n° 12-24014). Rappelons que ces autres arrêts ont donné gain de cause au régime social agricole pour appliquer des cotisations sociales sur la part de résultat attribué aux sociétés holdings associées de sociétés agricoles.

Au final, les juges d’appel de la cour de Rennes ont débouté le régime social du fait qu’en ne mettant pas en œuvre la procédure spéciale prévue pour l’abus de droit social et en n’informant pas les cotisants de leurs droits, la MSA les a privés de garanties de fond essentielles, ces manquements devant être sanctionnés par l’annulation du contrôle et des actes subséquents.

Autrement dit, la problématique des sociétés holding de sociétés relevant du régime social agricole n’est pas tranchée sur le fond puisque ces arrêts donnant raison aux chefs d’entreprises contrôlées sont fondés sur une question de procédure qui résulte de l’absence de nomination par arrêté ministériel des membres du comité des abus de droit social.

Rappelons que l’abus de droit social est défini en ces termes : « Afin d’en restituer le véritable caractère, les caisses de mutualité sociale agricole (ou l’URSSAF) sont en droit d’écarter, comme ne leur étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes aient un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles » (art. L. 725-25 du code rural pour les activités agricoles ; art. L. 243-7-2 du code de la sécurité sociale pour les activités non agricoles).

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsque l’organisme de sécurité sociale écarte un acte juridique, il se place nécessairement sur le terrain de l’abus de droit. Il en résulte qu’il doit se conformer à la procédure prévue par le code de la sécurité sociale et le code rural et les articles R. 243-60-1 et R. 243-60-3 du code de la sécurité sociale et qu’à défaut de ce faire, les opérations de contrôle et celles, subséquentes, de recouvrement sont entachées de nullité (Cass. 16/02/2023, 21-18.322).

Notons que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 en cours d’examen devant le Parlement devrait réformer la procédure de répression des abus de droit social, notamment en procédant à la suppression du comité des abus de droit social. Les possibilités de recours précontentieux et contentieux s’inscriraient dans le cadre du droit commun. Le cotisant aurait par ailleurs la possibilité de recourir à la médiation, créée postérieurement à la procédure d’abus de droit et généralisée en 2019.

S’agissant du secteur non agricole, il convient par ailleurs de mentionner la jurisprudence récente de la Cour de cassation qui par un arrêt du 19/10/2023 a précisé ainsi que les bénéfices d’une société d’exercice libéral exerçant une activité médicale, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à une société de participations financières de profession libérale, qui détient le capital de la société d’exercice libéral (Cass. 19/10/2023, n° 21-20.366).

Suite à cette dernière jurisprudence qui suscite un certain nombre de remous au sein des professions libérales qui ont procédé à ce type de montages, des amendements ont été présentés dans le cadre de l’examen en cours du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

D’une façon générale, il est fortement recommandé que ces sociétés holding aient une autre activité par ailleurs, soit de prise de participation dans d’autres sociétés, soit de réalisation d’autres activités économiques, soit encore avec la réalisation d’investissements productifs. Autrement dit, il convient certainement d’éviter les montages qui consistent simplement à attribuer une partie du résultat de la société opérationnelle à la société holding sans autre affectation.

A suivre…

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